jeudi 7 août 2008

Crise mondiale : Vive le modèle français !

« Etatiste », « corporatiste », « élitiste », « protectionniste », le modèle français a fait l’objet de nombreuses critiques. Pas toutes injustifiées au demeurant. Aussi des « bons esprits » ont-ils proposé de mettre au rancart ce modèle français, qu’ils jugeaient périmé, pour mieux faire entrer la France dans l’avenir radieux de la mondialisation. Mais la hausse des prix des matières premières, la pénurie alimentaire et la crise financière de l’année 2008 ont rebattu les cartes. Aujourd’hui le principal atout de la France dans la nouvelle donne internationale, c’est le modèle français.
Explications :

La France est particulièrement bien placée pour faire face à la hausse des prix du gaz et du pétrole.

Nucléaire et TGV : réponse à la crise énergétique

Son parc de centrales nucléaires fait de la France le pays développé, de loin le moins consommateur de pétrole (et le plus faible émetteur de gaz à effet de serre) ; la France est par ailleurs le seul pays au monde à maîtriser l’ensemble de la filière nucléaire, à la fois civile et militaire, depuis la production et l’enrichissement de l’uranium jusqu’au retraitement des matières énergétiques.

Ceci n’a été possible que par l’alliance d’une volonté politique, celle du général De Gaulle, puis de Georges Pompidou, et d’une volonté technique, celle des grands corps d’ingénieurs, notamment des mines. Le tout avec la bénédiction tacite de la CGT… Bref, tout ce qui fait l’atout énergétique et écologique de la France, c’est ce qui est critiqué dans le modèle français…

Le même schéma se retrouve en matière d’infrastructure des transports ; la France dispose en effet d’un réseau particulièrement performant de routes et d’autoroutes mais aussi de voies de chemin de fer modernes. Quelle meilleure preuve du succès du TGV que de constater qu’Air France-KLM s’apprête à affréter des trains rapides pour relier entre elles ses plateformes aéroportuaires ? Là aussi ce résultat est le produit d’une alliance des décideurs politiques et des grands corps techniques.

Dans un cadre accordant une place plus grande à l’entreprise privée, c’est bien la même logique qui a permis la construction de ces grands groupes d’environnement que sont Véolia et Suez, ces cartes maîtresses de la présence française sur la scène mondiale.

L’agriculture protégée : atout face à la crise alimentaire

Voulue par le général De Gaulle et imposée à nos partenaires européens par les gouvernements successifs, la politique agricole commune (PAC) a coûté cher ; et pour cause : elle a consisté à maintenir en France et en Europe, pays à main-d’œuvre chère, une agriculture protégée, alors que les prix des produits alimentaires ont constamment baissé durant quarante ans.

Mais le maintien du paysage rural et la sauvegarde de l’indépendance sont des biens précieux. Les contribuables des quatre dernières décennies ont ainsi réalisé un investissement dont les Français et les Européens vont commencer à tirer profit. Malgré une situation de pénurie la France et l’Europe n’ont pas eu de soucis d’approvisionnement et la hausse des prix alimentaires a été amortie. Là aussi, la PAC a été emblématique du modèle français alliant volonté politique, corporatisme (la FNSEA)… et corps d’ingénieurs.

Crise financière et crise immobilière : la France relativement épargnée

Ayant poussé sans retenue la dérégulation financière, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres pays occidentaux se trouvent plongés dans une crise financière et immobilière profonde. Cette crise risque de connaître un nouveau développement avec la chute probable de nombreux acteurs du crédit à la consommation.

Certes, les banques françaises ont commis des imprudences en achetant des titres américains peu sûrs (les « subprimes ») et leurs courtiers (« traders ») ont parfois pris des risques inconsidérés sur les marchés spéculatifs ; mais les malheurs de la Société Générale, avec l’affaire Kerviel, sont anecdotiques à côté des pertes massives des grandes banques des places de New York, Londres ou Zurich, pertes qui dépassent largement les 1.000 milliards de dollars.

La raison de la meilleure tenue de la place bancaire de Paris est simple : les corps des finances et la Banque de France (malgré ou grâce à son archaïsme) ont maintenu un contrôle minimum sur les activités de crédit, ce qui a limité les dérives les plus dangereuses, notamment vis-à-vis des particuliers. Et le conseil ECOFIN du 8 juillet 2008 a repris les propositions françaises d’encadrement des activités des agences de notation dont la responsabilité dans la crise financière mondiale est grande. Bercy va d’ailleurs utiliser la présidence française de l’Union européenne pour faire avancer ses projets de mise en place d’une régulation financière plus rigoureuse.

La vulnérabilité du modèle français

Le rappel de ces avantages comparatifs du modèle français – énergétiques, environnementaux, alimentaires, financiers – ne doit pas conduire à un excès d’optimisme.

D’abord, parce que ces points de force remontent à des décisions lointaines : sous la IVe République et le début de la Ve République pour l’essentiel. Ainsi la France tire ce qui lui reste de puissance de choix effectués il y a plus de trente ans. En revanche, il est permis de s’interroger sur le passé proche : de quels grands atouts supplémentaires les dirigeants français ont-ils doté la France depuis 1981 ?

Ensuite, parce que la « rupture » sarkozienne n’est pas sans danger. Ainsi l’éditorialiste Roger Cohen de l’ « International Herald Tribune » se félicitait-il en 2007 de la destruction de « 10 tabous français » . Roger Cohen visait notamment « le tabou américain » (l’admiration pour le modèle anglo-saxon), « le tabou agricole » (l’éloignement de la France rurale), « le tabou de l’OTAN » (l’alignement sur Washington) et « le tabou de l’élitisme » (la méfiance du chef de l’Etat vis-à-vis des grandes écoles et son gouvernement de ministres sous-diplômés, à la « culture allégée »).

Il est toutefois permis de penser que le goût du média et de l’immédiat du nouvel exécutif aura du mal à malmener durablement et fondamentalement le modèle français : son origine politique remonte à l’Ancien Régime (de Philippe le Bel à Richelieu) et les grandes écoles et les grands corps qui structurent l’Etat et la nation sont souvent bicentenaires.

Or en histoire c’est le temps long qui compte le plus !

© Polémia
11/07/08